mercredi 30 novembre 2011

The Unicorns : éphémères et immortels



 

Licorne (nf) : animal merveilleux et fantasmagorique qui vit depuis la nuit des temps à travers les contes et légendes. Un secret jalousement gardé par une communauté de petits êtres étranges culminant à 1m05 et disposant de fantastiques pouvoirs (don de dédoublement,  faculté à se projeter corps et âmes dans des univers imaginaires, capacité de converser avec des objets en apparence inanimés… ) : les enfants.

 La licorne est paradoxale ; les conteurs ne sont autres que les pires ennemis du fragile animal, pour qui elle n’est symbole que d’une puérile  insouciance : les adultes. Et ceux-ci invariablement ont le dessus. Ainsi le drame de la licorne s’accomplit systématiquement vers cet âge fatidique. Un beau jour l’enfant ne réclame plus son histoire. Il a mille autre chose à faire ou c’est son voisin de classe, qui lui a déclaré avec mépris « mais t’es trop bête toi ! Les licornes ca n’existe pas, c’est comme le Père Noël d’abord ! » (et vlan ! deux traumatismes pour le prix d’un …). Première cuisante désillusion du bambin ; une fois l’enquête menée,  le deuil surmonté, début donc de l’âge adulte et de ses graves obligations.

Tout comme la Licorne de notre enfance cette chronique va ainsi se pencher sur le berceau/cercueil des Unicorns (version anglophone de notre bel animal), un groupe posthume qui cristallisait toute l’insouciance de la jeunesse, ses splendides maladresses, sa sublime fragilité  et son inéducable brièveté.


En effet, fondé en 2000 ce combo de tous jeunes canadiens est foudroyé dès 2004 au moment même où, comme le bel animal, encore hésitant, il aurait dû se mettre au galop et partir à la conquête du monde.  Constitué de trois ados de Montréal, ce groupe mort-né a tout juste eu le temps de réaliser un album démo plus que prometteur, un premier album de toutes les espérances et un EP aux flamboyantes envolées, avant de rendre l’âme sur le bûcher de l’innocence.

A la fois  magistral premier album,  disque de la maturité et chant du cygne, l’unique album Who will cut our hair when we‘re gone ? paru en 2003 est un concentré de tubes en puissance qui semblent avoir été maladroitement enregistrés avec le pire des enregistreurs à K7, acheté 25$ dans la superette du coin…  Titre génial sur le mode des naïves interrogations métaphysiques dont les enfants ont en général le secret, celui-ci est déjà porteur d’un bien funeste présage… 


Tout aussi funeste, I don’t wanna die introduit idéalement l’album. Le son est brut, le format est ultra court, les harmonieuses mélodies vacillantes et l’atmosphère mélancolique particulièrement instable.  Tuff Ghost et ses nappes de synthé enchaîne avec une chanson brinquebalante faite de bric et de broc qui s’avère paradoxalement d’une présence phénoménale.

The Unicorns: Don't Wanna Die by bikesinthekitchen

The Unicorns - Tuff Ghost by halloweengum

Adepte du Lo-fi vous allez vous régaler ! Les voix sont peu assurées, les balances plus que douteuses, et ne parlons même pas de l’accordage des instruments…  Mais pourtant quel délice que les déchirants The clap, Inoculate the innocuous ou Les OS! Comme les groupe de lycéens aux noms les plus improbables que nous avons tous connus, les trois garçons arrivent à insuffler une profonde sincérité, une passion qui vient du plus profond de leurs tripes et prend le dessus de manière bluffante sur l’amateurisme général de cette affaire. La mélodique Jellybones et son intro déchirante en est l’exemple parfait. Idem pour Child Star, mélancolique chanson à tiroirs et son étrange pont de synthé qui imite à la perfection le son d’une k7 qui aurait trop été écoutée.





Child Star - The Unicorns by Daniel Bazurto

Ce mélange entre grande fragilité et inflexible détermination est frappant dans le clip de If I was a unicorn (première vidéo de l'article), simple reconstitution de live. Le frêle bassiste semble plier sous le poids de son instrument, le micro est trop haut pour le chanteur, le batteur hagard tente, tant bien que mal, de suivre le tempo qu’il est lui-même sensé insuffler  à la chanson. Toutes les conditions sont présentes pour donner quelque chose de pathétique… et pourtant que nenni ! Les parties de guitares virevoltent, la rythmique est implacable, les voix conquérantes… Le résultat est une brillante chanson, hymne de la jeunesse qui pourrait déplacer des montagnes. Seuls des gamins plein d’espérance pouvaient avoir le culot de la composer comme cela, à bras le corps.

Autre clin d’œil à l’adolescence : la stridente et ridicule intro de Sea Ghost jouée à plein poumon… à la flute à bec ! Rafraîchissante provocation faite à ce ridicule et pathétique instrument en plastique, censé ouvrir le jeune à la magie de la pratique musicale, sûrement bien plus responsable du divorce durable que l’on observe dès lors entre de nombreux teenagers et le moindre instrument de musique…  Bien heureusement les guitares prennent vite le relais pour enchaîner sur une chanson garage impeccablement brouillonne et bordélique.


The Unicorns - Seaghost by marklawson

Pour conclure l’album, le résigné Ready to die prend le contrepied de l’ouverture I Don’t Wanna Die …  Bref, si l’on ajoute à ces insistantes références morbides que trois des treize titres comportent le mot « Ghost », nous ne pouvions pas dire que nous n’avions pas été prévenu !


Pourtant comment se douter à la sortie du génial EP 2014 qu’il s’agissait bien plus d’un point final que de la majuscule d’une carrière que l’on attendait encore fébrilement. Sorti en 2004, il laisse percevoir ce qui aurait pu advenir des Unicorns avec un peu plus de maturité. Les quatre chansons, aux structurations plus complexes, sont brillamment fignolées. L’enregistrement Lo-fi n’est plus qu’un lointain souvenir. Et l’insouciance du garage pop s’est transformée en un rock électro bien plus sombre et torturé. L’intro de 2014 ne laisse pas soupçonner le virage électronique que prend petit à petit la chanson portée par un furieux beat à la limite du dancefloor. La sensation de transe ressentie est d’autant plus forte dans la version démo qui clôt leEP. Le fier Emasculate the masculine et son riff dévastateur semble quant à lui prêt à partir à la conquête des stades des cinq continents…

The Unicorns: 2014 by Unicorns, The on Grooveshark

Emasculate The Masculine by Unicorns, The on Grooveshark


Mais est-ce ce passage à l’âge adulte que le groupe n’a pas supporté ?  Rentrer dans la cour des grands, passé l’euphorie, n’est pas une mince affaire…  Se sont-ils rendus compte que la licorne en fin de compte n’existait définitivement pas ? Ainsi le groupe se sépare la même année tandis qu’en parallèle, ironie du sort, décolle magistralement une formation qui avait fait leur première partie lors de leur tournée américaine de 2003 : Arcade Fire !

Les Unicorns ne sont plus, mais il reste une quinzaine de titres nostalgiques à écouter sans modération. L’imagination, la passion et la spontanéité adolescente de leur unique album ont bien plus leur place au creux de vos petits tympans que de finir coincés sur les rayonnages d’une vieille bibliothèque, à prendre la poussière entre les contes de Grimm et ceux d’Andersen… Et pour cela il suffit de lancer le lecteur ci-dessous !



vendredi 25 novembre 2011

Bienvenue au Hot Club de Paris !



L’Angleterre nous a toujours vendu du rêve et ce n’est pas prêt de s’arrêter ! Non, Hot Club de Paris n’est pas un groupe de jazz, Django Reinhardt n’a pas influencé leur jeu de guitare. C’est juste pour faire hype, comme « Arctic Monkeys » ou « Egyptian Hip Hop ». Mais ne vous inquiétez pas, ce n’est pas une escroquerie artistique.


Ils sont trois, trois à chanter, une guitare, une basse et une batterie. Jamais rien d’autre. Ca suffit largement quand on sait comment les exploiter. Et ils le savent ! Comment définir leur musique… de la power pop punk au son clair, un accent du nord à couper au couteau (Liverpool, pas Béthune) de la spontanéité, de l’énergie, de l’inventivité.  

Les disques sont courts et rapides, pas de pause ou presque. La technique des trois Liverpudlians est impressionnante, rappelant un peu celle des Born Ruffians, en plus nerveux. Ils ont un style, oui réellement un style. Du math rock qui n’a pas oublié son passé anglais - on reconnaît l’influence des Clash et des Jam sous le vernis - mais qui regarde vers le futur, sans sophistications, sans électronique, sans robots et sans Chinois. C’est presque du garage rock malgré la propreté de la finition, des néo Mods, propres sur eux mais nourris à la bière. Un son immuable, aucun instrument n’est laissé derrière, personne n’accompagne personne, tout le monde est ensemble. Les harmonies ont l’air de se trouver naturellement, les rythmiques changent incessamment, les polyphonies sont omniprésentes.

Le Hot Club de Paris ne se prend pourtant pas au sérieux. La forme est teenage, les titres n’ont pas de sens (“Yes/No/Goodbye”, “Names and names and names”, «Sometimesitsbetternottostickbits-ofeachotherineachotherforeachother »), pas plus que les clips. C’est le génialissime label Moshi Moshi qui a eu l’honneur de produire leur premier album “Drop It Til It Pops”, en 2006. Une demi-heure très prometteuse. Quatre singles très inspirés (Shipwreck classé 153ème, Everyeveryeverything 140ème, Alleluia !) une énergie qui ne se relâche qu’à la onzième piste, quelques essais délirants (Welcome to the Hop, Bonded by Blood) qui font penser à du Blink 182 sous influence gospel et musique traditionnelle anglaise, et une conclusion qui donne vraiment envie de voir la suite (Everyeveryeverything)!

Ecoute intégrale de Drop It Til It Pops



En 2008 sort leur deuxième disque, « Live at Dead Lake », et ce n’est pas un live. Aucune concession, pas un gramme de folie en moins, Moshi Moshi tu l’aimes ou tu dégages. Le premier single Hey Housebrick est brillant, simple, direct. Les chœurs sont lumineux, la chanson est enthousiaste et réussie, tout comme My Little Haunting,  le second single. L’album suit son cours aussi sereinement que le premier, avec la même spontanéité et la même fraîcheur. Dédicace à The Friendship Song et We Played Ourselves, du bel ouvrage instrumental. The Dice Just Wasn’t Loaded From the Start fait penser aux trips acoustiques des Libertines enregistrés dans leur salon. Le disque fait à nouveau une pause avec Found Sleeping puis conclut énergiquement et positivement avec Sparrow Flew With Swallows Wings (« le moineau qui volait avec des ailes d’hirondelle »), sans doute une interprétation personnelle du « Geai paré des plumes du Paon » .


Ecoute intégrale de Live At Dead Lake

En 2010 paraît un EP, With Days Like This As Cheap, composé de six chansons, et il semblerait bien qu’il y ait un soupçon d’évolution dans leur son. Des clochettes par ci par là, des riffs plus saturés, plus « américains ». Rien de grave rassurez-vous, Matthew Smith n’arrivera jamais à imiter un Texan. Les chansons déboîtent toutes, Dog Tired At The Spring Dance sonne bien « à l’ancienne » frère, les autres cherchent une autre voie, plus longue, et la trouvent avec succès.

Hot Club de Paris - Will You Still Be In Love With Me Next Year by AtlantideZine

Encore un EP très similaire paru au début de cette année : The Rise And Inevitable Fall Of The High School Suicide Cluster Band, (il fallait jouer en 1967 pour choisir des titres aussi pourris les mecs). La musique est toujours aussi bonne ; mettons en relief la chanson éponyme particulièrement brillante, les chœurs sont toujours aussi élégants et les musiciens toujours aussi inventifs. Mais il y a un petit quelque chose… c’est plus propre, plus travaillé, les durées se sont allongées.  C’est difficile à reprocher quand même ; ce blog ne note pas la musique et il ne fera pas de critique facile non plus.

Hot Club de Paris - Free The Pterodactyl 3 by The Drift Record Shop

Allez on finit avec un son des quartiers nord :

Long Live the Club !







On l’écoute et on assume ! (I) : Le métal écologique de Korpiklaani






Quel Ipod n’est pas truffé de son lot d’inavouables chouchous musicaux ? Quelle playlist ne renferme pas de poisseuses, mais tellement  jouissives raclures sonores ? Qui ne s’est jamais surpris à siffloter avec ferveur les mélodies les plus honteuses? Bref, que celui qui n’a jamais goûté le fruit défendu par la dictature des bonnes mœurs musicales ose se manifester ! Parce que musiciens et mélomanes ne devraient jamais se prendre au sérieux, parce qu’en musique il n’y a qu’un pas du bon goût à l’outrance jusqu'à l’insipide artiste bon ton.  Voici donc notre nouvelle rubrique hebdomadaire sans langue de bois ! Avec « On l’écoute et on assume ! » les ayatollahs du bon goût et les intégristes du mélodiquement correct n’ont qu’à bien se tenir !  Vive le Kitch ! Plus ça agace, plus on aime ...


Et c'est parti avec un sombre groupe finlandais qui n'y va pas par quatre chemin. Korpliklaani, ou l’alliance entre trois tendances que les scandinaves maîtrisent à merveille : du métal de bûcheron qui ferait pogoter plus d’un troll en goguette, un attachement au folklore ancestral que tout bon viking ne renierait pas et enfin un engagement écologique sans faille. Voici un mélange détonant, de quoi faire tressaillir de plaisir le gosier assoiffé de Thor, Odin et tous leurs charmants petits camarades du Valhalla! Bref, le résultat tache et ce n’est clairement pas de l’eau …

Korpiklaani, « clan de la forêt» en finnois, est ainsi un groupe de chevelus acolytes qui, depuis 2002 a déjà trouvé le temps de ciseler 7 albums à grand coup de burins et de riffs décapants. Les voilà qui manient leurs instruments, comme les glaives et haches de leurs redoutables ancêtres, engagés dans une lutte écologique d’un nouveau genre. La preuve en image avec le jouissif clip de Keep on Galloping. Et en voilà une méthode enfin efficace pour protéger la planète ….



Et quand ces tendres brutes ne s’érigent pas en fervents défenseurs de leurs amis les arbres, ils font l’éloge de toutes les boissons alcoolisées imaginables (Vodka, bière, tequila… tout y passe !).



A l’image de kultanainen, musicalement le résultat est un étrange mélange de folk et de métal. Les gutturales éructations du chanteur qui s’exécute le plus souvent en finnois sont appuyées tant par un lourd combo métal guitares ultra saturées/ Batterie testostéronée que par un plus incongru violon ou même des touches d’accordéon. De forme très simple couplets/refrains les morceaux prennent la forme de curieuses chansons folkloriques trash dont les parties dansées resteraient encore à inventer…

Kultanainen by Korpiklaani on Grooveshark







mercredi 23 novembre 2011

The Awesomest Song of the Week (IV) Lotus : FUSION !


Il est certains groupes qui, malgré un insultant succès sur un certain type de scène dans leur pays d’origine, n’ont pas la fibre exportatrice. Ainsi de Modest Mouse, ainsi de Lotus.

Lotus est ce qu’on appelle un « jamband » qui fait de la « fusion ». Aucune information dans cette assertion. Cinq bêtes de scènes américaines, qui font depuis dix ans une centaine de représentations de deux heures chaque année. Cinq disques studio, deux live, deux EP et des remixes; leur dernier opus a attiré notre attention car il ajoute au rock, au jazz et au funk, des synthétiseurs. Nous avons nos faiblesses.
Leur dernier disque donc, éponyme, propose onze morceaux d’excellente fabrique, dont deux particulièrement exceptionnels.



Downr d’abord (ce n’est pas une faute de frappe), bijou d’électronique, ou comment marier des synthés à une formation traditionnelle en laissant de la place à tout le monde. Ca ressemble fort à un jam à rallonge dont on a extrait la substantifique moelle. Un alliage magique de guitare wha wha , de samples de peu-ra, de synthés saturés/filtrés/bidouillés et d’une rythmique qui envoie le bois.



The Surf ensuite, seule piste chantée du disque. Arpèges scintillantes, encore un synthé qui prend la relève par légères touches, puis la guitare criblée de reverb, un chant calme et juste, retour des arpèges sur le refrain en « ah… ahah… ah…ahah ». Le morceau se poursuit en deux guitares qui reprennent le thème du refrain pendant une petite minute. Réussite totale. 

Ecoute intégrale de Lotus

The Awesomest Song of the Week (III) : Vuk - The Plains


Premier focus de la semaine sur l’improbable et déroutante americano-finnoise Vuk (ce qui signifie sobrement « Loup » en serbo-croate). Mais que dire sur cet étrange anachronisme vivant ? Vuk, ca devrait être la terreur de tout scribouillard du dimanche… Il suffit de l’évoquer et voilà déjà le démon de la page blanche qui se pointe, un sourire sarcastique jusqu’aux oreilles, les sens en alerte, prêt à accomplir son sombre dessein aux moindre signes de découragement… Mais comment arriver à chroniquer un tel objet musical non identifié sans perdre les ¾ de sa substance ? Et en même temps ce serait un crime par omission que de ne pas relayer ses païennes et sublimes incantations... Résultat bien peu satisfaisant mais consensuel : voici deux chansons marquantes de la demoiselle dans cette salutaire rubrique hebdomadaire.


Autoproclamée « artiste expérimentale de pop de chambre », cette étrange elfe à frange compose des psaumes aux mélopées hypnotiques où la frontière entre harmonies et dissonances n’est jamais tranchée. Entre musique traditionnelle scandinave et folklore balkanique Vuk a recours aux instruments les plus improbables: harmonium, percussions vaudous, autoharpe des Apalaches, gamelan javanais… (Pour les petits curieux les pages Wikipédia de chacun d’entre eux sont très bien faites !) . Et comme si cela ne suffisait pas elle trouve le moyen de rehausser le tout d’une infime touche électro. Parfaitement à l’aise dans ce no man’s land pourtant particulièrement glissant et ou beaucoup d’autres se seraient retrouvés les quatre fers en l’air depuis bien longtemps, Vuk prépare actuellement un troisième enregistrement nommé Year of the Gourd. Prétexte idéal pour découvrir les perles du précédent album, The Plains paru en 2009 ! Et vu le niveau de celui-ci, pas question de prendre du retard…

Place donc tout d'abord au démiurge et dépouillé Gramophone and Periscope . A noter l’imperceptible mais non moins géniale rythmique distillée par d’étranges grésillements à peine perceptibles, du genre craquements de vieux vinyles…

Gramophone & Periscope by Vuk on Grooveshark

Et voici maintenant l’implacable Red Beard, autre réussite du disque. Martiale déesse d’on ne sait trop quelle obscure contrée, Vuk mène la chanson d’une main de fer et arrive même à lui insuffler peu à peu une magistrale et inattendue dimension orchestrale .


Red-Beard by Vuk on Grooveshark





mardi 22 novembre 2011

SLOW CLUB : Welcome to a slower world



Soufflons un peu, pour une pause méritée ou nécessaire. Une pause bucolique à base de concentré de clapotis, d’extraits de brise dans les branches et de zestes d’éclaircies. Une parenthèse musicale de calme et de fraîcheur pour prendre du recul sur la vie citadine. Tout cela est facilement accessible si on prend le temps d’écouter Slow Club, un duo pop folk de Sheffield qui soulage depuis 2006 le système nerveux de ses auditeurs.





Les ballades sont très fragiles, les cordes sont fébrilement grattées, les voix de Charles Watson et Rebecca Taylor se perchent délicatement sur les accords pour créer une atmosphère instable et terriblement séduisante. Ainsi commence le disque Yeah So, avec la chanson « When I Go ». Au moins les choses sont posées au départ, pas d’introduction survitaminée pour stimuler l’oreille paresseuse. On appellerait presque ça une comptine, servie de paroles un peu niaises (« There’s so many questions that still burn, like will you hold my hand when I go »), mais décidément,  la mixité du chant aura toujours son petit charme particulier.

When I Go by Slow Club by enbrown


Givin up on love nous secoue les puces, car il est aussi question de pop ici. En réalité il s’agit d’un triptyque, complété par It doesn’t have to be beautiful et Because we’re dead. Trois excellentes chansons, toutes aussi dynamiques, fraîches, revigorantes, avec de jolis ponts et de beaux renvois de chant. On dira même bouleversant en ce qui concerne  It doesn’t have to be beautiful , qui évoque la transition adolescent/adulte, la sensation désagréable qu’elle provoque, et l’irritation que sa seule évocation engendre !  Leave now if you just can’t stay, cause there’s nothing worse than somebody pretending away the years of their youth will never get back »).



Le folk, lorsqu’il est bien réalisé, n’a pas d’âge et donc ne sera jamais démodé. C’est le cas ici. Hormis la qualité de l’enregistrement, les ballades du disque auraient pu avoir été composées il y a dix, vingt ou quarante ans. Des soupçons de vieux blues dans  I was unconscious, it was a dream , un cas d’école de la « ballade anglaise avec piano » (There is no good way to say I’m leaving you ) qui fait penser aux meilleures années des Beatles, des Stones et de Bowie ; quant à Trophy Room elle aurait bien pu appartenir à Paul Simon, et Sorry about the doom, à Joan Baez. Une très belle tristesse pour cette dernière chanson, avec toujours les même thèmes éculés mais qui n’enlèveront jamais rien à la musique tant qu’ils serviront la perfection (« I know your heart is beating slow and out of time with mine »).

Come on Youth sert d’hymne à la jeunesse et à l’insouciance, en célébrant la vie à l’arrache et la philosophie qui l’accompagne (« Do you love to regret, or forgive and forget ? If you’re going to forget it all, cold is comfort, comfort is cold »). Madame expérimente les percussions sur bouteilles sur Apples and Pairs, encore une comptine très delicate.




Deux choses avant d’en finir avec le disque. D’abord l’indicible splendeur de " Dance Till The Morning Light", qui suffirait à justifier l’édification d’un musée Slow Club et la taille de quelques statues des deux troubadours avec écrit « Best Band Ever » dessus. Et si un nouveau pays voit le jour il pourra prendre « Our most brilliant friends » comme hymne. Enfin il faudrait un pays peuplé de personnes non patriotes et hurlant « So just dance with me, move your body round this time machine, start it again/ I just want to celebrate the fact our bodies can recreate new versions of ourselves” aux matches de foot et aux ceremonies officielles. 

Et à la fin du disque il y a une surprise, enfin si vous écoutez réellement un disque et pas un mp3, une chanson cachée ! Après quelques vrombissements caverneux, Rebecca clôt une seconde fois l’œuvre, et décide que finalement la touche finale ne sera pas enjouée mais mélancolique. Boys on their birthdays est le petit chef d’œuvre final. On appréciera le « I definitely want to be a rapper, but I’m just a northern girl from where nothing really happens » et le sinistre ultime couplet qui s’étouffe en un lancinant “The bones inside my shins are crumbling, it’s from all the crunking I’ve been doing”.



Slow Club possède un charme particulier en live, ils collent exactement à l’image de leur musique : sympathiques, timides et à l’arrache. Remerciant le public à chaque fin de chanson, tapant du pied dans les refrains, le regard fuyant et très concentré sur leur prestation, on croirait presque à une kermesse, forcés par des amis trop pressants à chanter un « petit quelque chose sans prétention qu’on a composé la semaine dernière ». Et non ! Le dépouillement de la forme n’éclipse pas le génie du fond. L’enjeu de l’enregistrement a été d’enrichir l’esthétique de leurs concerts sans la trahir, et c’est réussi. L'article du NME consacré au disque termine par "Don't call this club Slow, call it special." Pas mieux.




vendredi 18 novembre 2011

Johnny Flynn, to folk or not to folk?




JOHNNY Cash, JOHNNY Lee Hooker, JOHNNY Winter, JOHNNY Rotten, JOHNNY Mercer, JOHNNY Clegg, JOHNNY Thunder, JOHNNY Ramone, JOHNNY Halliday, JOHNNY Marr… Et la liste est encore longue ! Vénérable dynastie de célébrités en tous genres et particulièrement musicales, les Johnny ont plus d’une fois trusté le top des charts ou du moins sont des habitués des "unes" de tabloïds aux quatre coins du globe…  

Et combien de langues baveuses prépubères se sont maladroitement entremêlées sur l’imparable mais non moins simpliste refrain de la chanson d’un certain Chuck B. qui narre l’histoire de Johnny, garçon de campagne de la Louisiane profonde ? Ce pauvre bougre ne sachant ni lire ni écrire jouait pourtant de la guitare avec une virtuosité inégalée (« Go go / Go Johnny go / Go Go Johnny go/ Go Go Johnny go / Go go Johnny go/ Go Johnny B. Goooood »).  Bon mais ce coup là, et vous ne me contredirez pas mesdemoiselles, ça marchait au plus chaud de l’été 1958, mais maintenant on ne vous ne le fait plus le stratagème ringard du morceau brinquebalant joué avec des doigts gourds sur une vieille gratte désaccordée !?  Après le fatidique 11/11/11 il vous en faut un petit peu plus pour vous en mettre plein les mirettes, nan ? Bref, ce plouc de Johnny, américain moyen par excellence, ne fait plus rêver personne et n’a aujourd’hui plus aucune raison de quitter sa station à essence merdique du fin fond du Minnesota ou son ranch miteux du Kentucky. Et donc vous pensiez le filon des Johnny épuisé depuis belle lurette? Et bien détrompez vous ! Il en existe encore au moins un plus que fréquentable dont vous n’avez sûrement jamais entendu parler…  Johnny Flynn ça ne vous dit rien n’est ce pas ? Et bien ça bah, c’est fort fâcheux ! 


Ce n’est pas outre-Atlantique, mais outre-manche qu’il faut aller chercher ce dernier. Distingué sujet de sa non moins distinguée Majesté Elisabeth II, Johnny Flynn n’est pas à proprement parler un bouseux. A la base acteur classique il s’évertue avec sa troupe londonienne, la compagnie Propeller, de faire perdurer la flamme et l’émotion de la grande tradition du théâtre élisabéthain et de son plus fidèle représentant, Shakespeare, sur les scènes du monde entier. Pourtant, si c’est un habitué des chemises à jabot, cela ne l’empêche pas, en parallèle, de remonter ses manches à froufrou et de mettre les mains dans le cambouis. En effet dès 2008 il débute contre toute attente une carrière musicale sans concession qui allie admirablement brillance et ascétisme. Et tout comme son lointain cousin du nouveau monde, il compose une musique profondément influencée par les chansons populaires traditionnelles. Issu de la country pour le héros de Chuck Berry, celle-ci est d’essence folk pour Flynn et trouve ses origines dans le patrimoine irlandais vernaculaire. 

Tour à tour  rêche comme la parois d’une falaise battue inlassablement par les éléments, doux comme la souple texture de l’argile fraiche, riche et profond comme les tonalités d’un ciel d’orage , étourdissant comme le bouquet de senteurs d’un sous bois humide, son premier album, A larum, est un remède de grand-mère qui nous vient du fond des temps et qui fait avant tout un bien fou.

Œuvre dépouillée et fascinante, on s’y perdrait bien, comme dans les rides du visage buriné d’un centenaire qui raconterait inlassablement les inépuisables récits de sa longue et passionnante existence au coin d’une délicieuse flambée d’hiver. Disque hypnotique, A Larum distille des chansons qui semblent venues d’un autre âge (Brown trout blues, Shore to shore, Wayne Rooney…).  Ainsi de délicats violons sont à l’honneur dans le nostalgique Sally tandis qu’un sautillant banjo s’invite à l’occasion du guilleret Eyless in holloway.



Et pourtant, ne vous laissez pas berner par la voix chaude de cet ensorceleur professionnel ! Johnny Flynn est un acteur, ne l’oubliez surtout pas !!! Depuis quand les chanteurs du terroir folklorique british ont-ils un tel accent précieux digne du plus impeccable Lord de la chambre du même nom ? Cherchez l’intrus dans Hong Kong Cemetary: et bien oui trompette ne rime pas vraiment avec Guiness je vous l’accorde ! De même, la lourde rythmique de l’implacable Cold bread propulse insidieusement le morceau dans des sphères bien plus rock que l’eurent voulu les bonnes mœurs. Idem pour le final échevelé de All the dogs are lying down qui lorgne quant à lui vers une pop flamboyante bien plus à sa place dans une salle londonienne hype de Camden que dans un pub croulant du fin fond du Donegal. Et puis d‘abord, quand on y pense, Hong Kong Cemetary, un bien étrange titre pour une chanson folk…  Et oui ce jeune prodige, en apparence si respectueux du patrimoine de l’ancienne garde réalise en y regardant plus près d’audacieuse contorsions entre la tradition et de multiples autres influences. Apprenti sorcier de génie, le voilà qui rajoute allégrement  au nectar folk originel de nouvelles saveurs mystérieuses et des aromates toujours plus exotiques, et pour produire une décoction musicale décomplexée et dépoussiérée, mais jamais vidée de son essence originelle. C’est du Johnny Flynn tout simplement.



Hong Kong Cemetry by Johnny Flynn on Grooveshark


Dès l’ouverture de l’album, The Box est un modèle du genre. Mélodie impeccable où la voix grave de Flynn se marie parfaitement avec le cœur féminin du refrain, instrumentaux parfaitement dosés entre guitare délicatement grattée, violon dissonant mais pas trop, trompette savamment distillée pour faire monter la sauce à partir des deux tiers du morceau, le tout porté par une batterie qui arrive à être discrète et puissante à la fois. Les bases sont posées ! Il n’y plus qu’à enchaîner. Et dans les 13 pistes suivantes ainsi que dans les 11 de l’album suivant, bloody hell, mais que c’est bien réalisé !



En deuxième position The wrote and the writ est la grande réussite du disque. Imparable et intemporelle, elle prend aux tripes dès l’intro. Bluffant exercice de style traditionnel, l’impression d’écouter un vinyle grésillant se fait sentir durant toute la chanson. Juste le temps de s’en remettre et voilà que Tickle me pink en remet allégrement une couche; morceau énergique celle-ci, greffé sur un rythme d’enfer explose admirablement en vol. Autre claque, le brut Hong Kong cemetary, ode funèbre qui mêle trompettes et cœurs pour produire un requiem brinquebalant et sublime.  



Si le deuxième album, Been Listening, à l’image du single Kentucky pill, de Sweet William part 2 ou de The prizefighter and the hairess, sonne de manière générale moins « brut de décoffrage », les finitions plus soignées réussissent, plus que jamais, à créer des atmosphères uniques qui s’adressent avant tout à nos tripes. Et le hold up de nos émotions continue avec Lost and found et ses cœurs fabuleux, la ballade admirablement ciselée Been listening ou le sémillant Barnacled warship … Et pourtant ce garçon, blasphémateur multirécidiviste, continue de se foutre de nous sans vergogne ! Vous ne remarquez pas les sacrilèges à répétition?  Mais que viennent faire ces trompettes de Mariachi et cette rythmique reggae dans Churlish May ? Et ne parlons même pas du bluesy Howl  bien plus à sa place de l’autre coté de l’Atlantique… 




A noter également la production en 2009 de l’impeccable Sweet William EP entre les deux albums. Pas la peine de s’épancher plus sur les quatre morceaux qui le composent. Mais sachez que de The mountain is burning à Drum tout est là ! Indispensable donc…
The Mountain Is Burning ((From Sweet William Ep)) by Johnny Flynn on Grooveshark

Last but not least, CQFD, thèse, antithèse, synthèse : et bien non ! Vous voyez bien maintenant que les Johnny ne sont pas tous morts et enterrés ! En voila un qui porte la relève avec un flegme et une classe toute britannique plus que rafraîchissante.  Avec Johnny Flynn la succession est plus qu’assurée. Et  puis d’abord de quelle relève parle-t-on ? Un Johnny ne se rend jamais, c’est bien connu ! Il n’y a qu’à voir la résurrection de notre fringant exemplaire national qui, après avoir passé plusieurs mois sur les planches (tiens lui aussi !), vient d’annoncer la mise en ligne sous peu d’une nouvelle chanson gratuite avant d’écumer de manière moins philanthropique tout les stades et zéniths de l’hexagone…  Profitez bien du tuyau, parce qu’à sa sortie celle-là on ne la chroniquera pas!