mardi 9 décembre 2014

LE TOP 14 DE 2014


A l’heure des sempiternels TOPs consanguins ou pseudo-subversifs, aux chiffres forcément ronds uniquement justifiés par le nombre de doigts qu’on a aux mains, il était temps pour Désaccords Mineurs de revenir d’entre les morts pour vous révéler le seul et vrai TOP de l’année 2014 qui s’achève. Il s’agit d’un TOP 14 très subjectif avec un chiffre beaucoup plus cool et une meilleure subjectivité.

14 The Do –  Shake, Shook, Shaken 


Le coup de fouet inattendu, très loin de la bien pensance et de la facilité qu’on aurait pu redouter de la part d’un groupe adoubé par France Inter et les Inrocks. Le buzz de 2008 était donc bien fondé sur un réel talent, puisque ce troisième album est tout à fait exemplaire, filant une électro-pop éclatante et audacieuse. Les arrangements sont brillants, superbement construits, et les mélodies scandées par Olivia Merilahti sont toutes sans exceptions abouties. Au deuxième album réussi on peut croire à un sursaut d’inspiration juvénile, mais au troisième c’est forcément beaucoup plus.

13 Tom Vek – Luck


Le londonien au phrasé moitié scandé moitié chanté est revenu cette année avec un disque sans faute, sombre et dansant. L’électronique est encore mangifiée, sans complètement laisser de côté les instruments traditionnels, basse et batterie, qui apportent leur touche de tradition à cette orgie d’énergie. Les morceaux partent souvent dans des directions étranges, dérangent les oreilles paresseuses et les harmonies faciles. Le type qui est plus ou moins censé avoir inspiré les Foals et consorts n’a rien perdu de sa patte innovatrice. 

12 Paws – Youth Culture Forever 


Ce trio méconnu de Glasgow œuvre dans un registre à l’américaine, du garage rock brut mixé à la truelle. Dans la continuité parfaite de leur premier essai, ce second opus est à nouveau un concentré de distorsion à la bière, rapide, qui atteint sa cible sans perdre de temps. Les mélodies sont simples et excellentes, empreintes d’un jemenfoutisme très grunge, entre punk et hardcore mais avec un tantinet de sucre qui en fait un dosage subtil et élégant. Dédicace à Morrissey qui a fait annuler leur concert à Los Angeles parce qu’il jouait au même moment !

11 Weezer – Everything Will Be Alright In The End


Dur d’attendre quelque chose du groupe de power pop mythique des années 1990. Après une série d’albums vraiment pas très inspirés et à la limite de la beauferie MTV-compatible, le quatuor californien n’avait plus que la tête hors de la tombe pour leurs fans qui avaient gardé la leur sur les épaules. Hé bien figurez-vous que ce neuvième disque est excellent, et la production brutale n’enlève rien à la qualité des mélodies qui sont à peu près toutes excellentes. Du kitsch, du rétro,  un jeu de guitare « gros sabots » anti-hipster, les singles qui font mouche se succèdent avec des bpm enrichis au Red Bull et des pistes de voix saturées de filtres. La trilogie épique qui clôture l’œuvre donne des frissons et serait une magnifique révérence, mais maintenant on espère que ce ne sera pas le cas.

10 Jack White – Lazaretto


Jack White est un monstre de musique, héritier d’une folie créatrice digne des années 1960. Son talent incommensurable a explosé à nouveau cette année au travers de son deuxième album solo, Lazaretto. Le blues, la country et le rock s’entremêlent sous des arrangements épiques (chœurs, violons, orgues), les morceaux donnent froid dans le dos, attendrissent, perturbent. Son amour des sonorités vintage engendre parfois une violence quasi électronique dans des solos toujours aussi démentiels et le batteur avec qui il s’est acoquiné est d’une redoutable férocité. C’est la fusion de la tradition et de la modernité qui fait de cet album un chef d’œuvre qui augure très bien la suite de la carrière d’un des meilleurs musiciens au monde.

9 Nicole Sabouné – Must Exist


Cette Suédoise plus que méconnue hors de sa patrie –où elle a éclos à la télévision- a sorti cette année un disque puissant et étrange puisant dans une esthétique pompière des années 1990. La très jeune scandinave possède un talent de composition imparable qu’elle façonne avec sa voix étonnamment grave et une gestuelle fédératrice taillée pour les stades. Faites de pure pop, les chansons prennent aussi les atours d’un imaginaire gothique très sombre, aidées par une gestion des codes et des visuels qui font de cette très jeune artiste une icône en devenir. Les qualités d’écriture de faiblissent à aucun moment au cours de ce long disque incongru qui s’ancre instantanément dans notre mémoire.  

8 Ariel Pink – Pom Pom


Ariel Pink est fou, coincé dans un délire très dur à comprendre. Le non-sens qu’il érige en principe directeur depuis bientôt quinze ans a atteint son paroxysme avec la sortie de Pom Pom, un disque long, éclectique et qui refuse de se faire canaliser. Pop, rock, reggae, électro, hard-rock, musique psychédélique, bruit… Un immense n’importe quoi stylistique qui ne se laisse pas apprivoiser à la légère mais qui une fois le bon angle trouvé devient un trésor, sans qu’on sache pourquoi on a fini par l’aimer. On pense aux recherches de Frank Zappa, avec une musique qui n’est d’aucune époque, d’aucun endroit… Enfin c’est quand même toujours à Los Angeles, l’extrême-occident, que les artistes vont trop loin.

7 King Tuff – Black Moon Spell



Du lourd qui tache, des guitares énervées et une voix vicieuse aux spasmes vomitifs, voila qui est cette poche à décadence de King Tuff. Encore un gros dégueu à la Mac Demarco qui pense que le scandale ouvre les portes de la gloire. Mais il est vraiment bon, ses chansons délirantes sont solides, et le dilettantisme n’est que de façade car le travail a été fait et bien fait. Le spectre des années 1960 n’est pas loin, et à l’instar de Kurt Vile, King Tuff ressort des solos aux sonorités oubliées sans jamais sombrer dans le copier-coller. L’impression de blague s’estompe très rapidement quand ce deuxième album, Black Moon Spell, commence. Les morceaux frénétiques s’enchaînent et font voyager dans les quarante dernières années musicales tout en suivant un fil rouge (cette voix diabolique !), refusant de peaufiner un son qui reste brut et brouillon entre saturation extrême, guitares acoustiques et effets dégoulinants. On n’est pas dans de l’introspectif ou du réflexif, le mixage a perdu son couvercle et en a foutu partout sur les murs. Il n’y a plus qu’à lécher.

6 Wampire – Bazaar


Un duo de Portland, la ville la plus hipster du monde, au nom nul, aux pochettes nulles n’a rien foutu pendant dix ans puis a sorti deux albums à un an d’intervalle. Le dernier est intitulé Bazaar et parachève une démarche encore une fois étrange, restitution d’une vie sans sens et sans organisation, qui part de nulle part et ne va nulle part. Rocky et Eric crient et chuchotent, entrent en éruption puis se détendent, rigolent puis pleurent. Les compositions protéiformes s’épanchent dans une sorte de luxure malsaine constituée de voix perverses, de saxophones sexuels et d’intensions mal définies. Elles sont systématiquement étranges et typées, mettant rarement un instrument en avant mais préférant construire un tableau global à l’aide d’une palette infinie. Ce grand disque met un peu de temps à révéler toutes ses saveurs parce que sous son apparente simplicité il est en réalité complexe et total. Il est à la tête de quelque chose à définir.


5 Populous – Night Safari


Longtemps inconnu, cet Italien est en passe de percer grâce à un changement artistique assez radical. Autrefois œuvrant dans une pop indépendante alternative à la Why ?, l’album qu’il a sorti cette année est clairement parti en sucette grâce à des collaborations ingénieuses. En multipliant les featurings on s’ouvre plus de portes, quitte à perdre en cohérence, mais ici le trouble est total et la perte nulle. Des rythmiques complexes aux textures cristallines, des basses insondables qui frisent la transe, des synthétiseurs soyeux descendus des cieux, le cheminement est tortueux et se fait très haut au-dessus de nous. La mondialisation n'est pas toujours globalisation, elle peut aussi engendrer des créatures inconcevables qui défient nos conceptions et rendent nos mots impuissants.

4 Generationals – Alix



Même pas une année d’écoulée depuis Heza que revoilà le duo de la Nouvelle-Orléans avec un nouveau disque sous le bras. Cette fois-ci les guitares ont quasiment disparu de la production, laissant le champ libre à d’amples synthétiseurs, et bien sûr aux voix angéliques des deux Américains toujours aussi inspirés. Les instrumentations minimalistes, ces saturations naturelles et cette réverbération à outrance qui ont fait leur style sont toujours présentes, et le synthétisme maintenant omniprésent n’obscurcit à aucun moment l’éclat des mélodies vocales. Le kitsch des arrangements est manié à la perfection et apporte une profondeur nouvelle aux morceaux du duo, qui constituent un bloc totalement homogène. La musique toujours aussi bien construite multiplie les transitions de modes pour restituer la profondeur vertigineuse de leur esthétique.

3 Erlend Oye – Legao



L’ex leader de Kings Of Convenience et de The Whitest Boy Alive a publié cette année son deuxième album solo, dont le nom est Legao, à l’aide d’un groupe de reggae islandais. Globe trotter fâché avec son pays d’origine, la Norvège, Erlend Oye écume le monde depuis l’Italie qu’il a adoptée comme refuge. Fruit d’influences diverses, cet album n’a aucun rapport avec l’électro-pop du premier qu’il avait sorti en 2003, il est purement organique et s’articule autour d’un reggae non radical à la sérénité incroyable. La voix du Norvégien est toujours aussi exceptionnelle, s’insérant avec aisance et évidence dans ces instrumentations ultra subtiles qui mettent cuivres et orgues à l’honneur. Son jeu de guitare brillant qui avait fait l’un des matériaux d’exception de son précédent projet est ici relégué, sauf exception, à un rôle d’accompagnement. Musique d’un été qui n’en finit pas de finir, support d’une mélancolie rêveuse qui ne veut parler qu’au cœur, ce disque fait partie des rares à posséder une histoire avant même d’en avoir eue.

2 John Frusciante – Enclosure


L’ex guitariste des Red Hot Chili Peppers a poursuivi cette année son aventure personnelle dans une jungle de plus en plus hostile qui aura happé beaucoup de ses fans. Ses recherches stylistiques de chimiste confirmé l’avait amené en 2012 à Letur-Lefr, une potion de régénérescence non stabilisée qui avait réveillé par accident des démons enfouis depuis longtemps. Cette fois la recette est meilleure, mais le guitariste s’est aventuré vraiment très loin. C’est un mais d’avertissement, pas un mais de limite. Le but du Californien n’est pas clair, mais il s’agit probablement de remettre en question la structure du rythme dans son essence et les possibilités d’évolution d’une mélodie. John Frusciante ne se voit que comme l’instrument d’une puissance extérieure, la musique, qui n’est pas fondamentalement maîtrisable, et dont le solfège n’approche l’organisation que comme les mathématiques approchent l’organisation de l’univers. Cette énergie incompréhensible, partiellement canalisable dans sa forme mais pure puissance de vie dans son fond, est présente dans Enclosure sous un état qu’on pourrait croire très moderne mais qui est en réalité très primitif. Pur instinct de création explosive, cet amas de sensibilités immémoriales n’est ni construit ni joli, mais seulement le reflet encore pâle d’un feu inatteignable.

1 Woods – With Light and With Love


Voila un groupe à la productivité impressionnante – huit albums en huit ans – qui vient de livrer l’un de ses plus beaux joyaux à ce jour. Woods accroche, séduit, prend des risques mais ne se perd jamais. Le chant exceptionnel de Jeremy Earl se met à nouveau au service de chansons sublimes qui suintent l’équilibre et l’élégance. Le naturel et l’évidence des arrangements sont criants, puisant dans cette longue tradition de folk américaine qui lorsqu’elle est exécutée avec génie n’a plus d’âge. Tristes, joyeux, puissants, fébriles, les paramètres de ces chansons sont toujours aussi changeants et aussi révélateurs de la difficulté à cerner les états d’âme de celui qui les a enfantées. La chanson éponyme est un monument dont la grandeur fait trembler. With Light and With Love est un disque qui s’écoute sur une vie.

samedi 29 décembre 2012

The Dark Side Of The Stars : The Golliwogs (Creedence Clearwater Revival)



Tout le monde connaît Creedence Clearwater Revival. Si le nom tarabiscoté n’évoque pas toujours grand-chose, des chansons telles que HaveYou Ever Seen The Rain, Looking Out My Backdoor, Who’ll Stop The Rain ou encore la reprise de I Heard It Through The Grapevine stimuleront des « ha oui bien sûr » chez n’importe quel sujet disposant d’un poste de radio ou ayant l’habitude de faire ses courses au supermarché. Mais le groupe californien, emmené par le phénoménal John Fogerty, a eu une carrière avant ce déchaînement de succès.





Bien avant les hits néo-country vendus à millions d’exemplaires fut un petit groupe local, d’abord nommé The Blue Velvet, originaire d’El Cerrito dans les environs d’Oakland en Californie. Composé des deux frères Fogerty,  de Stu Cook et Doug Clifford, le groupe signa sur Fantasy Records une grosse vingtaine de chansons qui sont très très loin du son qui leur donna leur succès international. Renommé The Golliwogs à partir de 1964, référence incompréhensible à une ridicule marionnette pour enfants, c’est sous ce mystérieux mauvais nom qu’ils ont traîné leurs basques dans le bac à sable musical jusqu’à leur service militaire en 1966. 





Est-ce à cause du break dans leur carrière, de la petitesse de leur bourgade ou d’une absence de marketing, en tout cas rien de cette courte période n’est venu jusqu’aux oreilles du badaud, voire même du type qui se penche un peu sur la discographie de CCR. Mauvaise visibilité, absence de valorisation post-mortem, la seule manière d’ouïr ces débuts prometteurs est de se procurer la CCR Box Set de six disques pour une valeur de 149.99 €, ou alors d’errer sur YouTube sous des vents favorables. Et là... un mélange de surprise, d'ébahissement et d'admiration submerge l'auditeur qui ne s'était évidemment pas préparé à autant de découvertes renversantes...





En fin de compte qu’avons-nous là ? Un trésor. Aussi inestimable qu’il est limité. Aussi précieux que poussiéreux, naïf et gentil. L’absence de réputation aide peut-être les choses à sonner vrai, sans doute, mais des morceaux comme Little Girl, Oh My Love ou Where You Been sont authentiquement sublimes ; d’une délicatesse et d’une sincérité aujourd’hui rares. Le son est typé à l’extrême "début des années 60", non sans rappeler les débuts des Beatles à la BBC. La voix indescriptible de John Fogerty est déjà là, prête à se faire connaître au monde entier, et sait se faire moins hésitante sur des morceaux comme The Golliwogs Don’t Tell Me No Lies, Try Try Try, You Came Walking ou encore Fragile Child (parfois doublé par son frère Tom).




Très honnêtement, ces chansons ont-elles quoi que ce soit à envier aux percées des Beatles, des Rolling Stones ou des Kinks dans les années 1962/1965 ? NON. L’envoûtement pré-psychédélique de Gonna Hang Around, la spontanéité de Fight Fire, ou bien She Was Mine, sorte d’hybride Angleterre/Etats-Unis. Quand vient le tout dernier single, Call It Pretending, juste avant l’exil martial, tous les éléments du succès futur sont réunis, et cela était trop évident aux yeux de Saul Saentz, business man ayant racheté Fantasy Records ; ainsi il leur proposa en 1968 d’enregistrer ce qui deviendra leur premier véritable opus en 1968 : le disque éponyme chargé de singles rockabilly tels I Put a Spell on You ou Suzie Q (presque aucune chanson n’est signée du groupe).


Voila la magnifique face cachée de CCR !

Point culture : D’où vient le nom incroyablement pénible de Creedence Clearwater Revival ?

Creedence vient du prénom d’un ami de Tom Fogerty, Credence Newball, auquel un « e » a été ajouté pour évoquer « creed » qui signifie « crédo, principe » en anglais. Clearwater vient d’un slogan publicitaire de la marque de bière Olympia Beer, et Revival marque l’aspect « renaissance du groupe »…  Pourquoi faire simple et percutant finalement ? 







mardi 30 octobre 2012

Les épopées maritimes de Ween : The Mollusk



Au programme aujourd’hui : retour subjectif sur une démonstration de composition marrante, jolie et dépaysante qui date de 1997. Le prolifique et très inégal groupe Ween, projet foutraque des frères pennsylvaniens éponymes, publia une extraordinaire aventure maritime, l’histoire sibylline d’un type qui devient pirate par ennui. Sachez que les frérots Ween ont décidé de faire n’importe quoi, tout et son contraire, avec semble-t-il pour seule ligne directrice de ne jamais en avoir. S’ils ont publié des choses très mauvaises et d’autres sans grand intérêt, ils ont également eu des fulgurances de génie concentré pur jus.


Après la sortie de « 12 Golden Country Greats », qui comme son nom l’indique sert plus à faire croire à quelques républicains sudistes que tout n’est pas perdu pour restaurer l’Amérique de Grand-Papa qu’à vraiment proposer une œuvre musicale, nos joyeux drilles s’entichent d’un sujet dont la profondeur insondable nous fascinera toujours : la mer. Pour attirer le chaland, quoi de mieux qu’un titre un peu dégueu (The Mollusk) et qu’une pochette odieuse couleur vase qui arriverait à donner le mal de mer au Captain Iglo à jeun?


Mais « au fond », qu’est-ce que ça pourrait être ? La musique de la mer c’est quoi ? Des ballades irlandaises ? Des chants de marins ? De sirène ? De baleine ? La BO de Jack Sparrow ? Rien de tout ça. Si on peut effectivement retrouver la trace d’une chanson de marin – la sublime The Blarney Stone qui sent la Guinness et les embruns – les autres chapitres ne font souvent que reprendre la thématique maritime pour l’asservir à l’esprit Ween. A l’instar de leur chef d’œuvre de 1994, Chocolate and Cheese, rien ne ressemble à rien. Mais en se forçant un peu, en grattant légèrement la couche de sel, oui cela devient évident : tout respire l’iode, l’huile de foie de morue et le bonnet à Cousteau wesh.



Dans cette ode à l’eau salée, on trouve des chansons rapides et marrantes qui délasseront sans doute les néo mousses briquant le pont, comme I’ll Be Your Jonny on the Spot, la poétique Waving My Dick in the Wind, ou encore Ocean Man, qui sera reprise dans le générique de fin de Bob l’Eponge. Ca fleure bon la flibusterie, le branle-bas de combat et l’abordage sauvage sabre aux dents. Ecumer les sept mers rhum à la main et cheveux au vent c’est un truc de bonhomme.  Mais seul dans son hamac, le pirate assoiffé de richesses et soumis à la vacuité du désir spinozien découvre inévitablement la mélancolie d'un amour perdu.



Après avoir quitté sa patrie, qui se rappelle à lui à travers le doux ragtime british de I’m Dancing in the Show Tonight, (Ah, Ye Olde England !) la plongée a été rapide dans les tréfonds d’azur, dont les notes sirupeuses de flûte sur The Mollusk sont une belle allégorie. Mutilated Lips ferait quant à elle plutôt penser à un intermède brumeux sans vent, coincé au milieu de nulle part avec une carence en sel qui commence à donner le vertige et faire délirer. Il y a quoi tout au fond ? It’s gonne Be Alright, la quiétude ultime, où obscurité et limpidité s’associent sublimement. C’est le sommet – enfin l’abysse dans ce cas précis – du disque. Les percussions se propagent à travers les flots, scandant une mélodie impeccable accompagnée de coulées d'arpèges. La délicate Cold Blows the Wind tient également son rôle nostalgique : notre boucanier se demande s’il n’a pas rejeté un enfermement pour en accepter un autre, Dieu que ce navire est petit ! 




Il y a les îles certes. Des envies d’ailleurs grandiloquentes comme dans Buckingham Green, bel hymne pour une colonie hispanique ou un comptoir portugais où l’on hume les épices, se détend à l’ombre d’un palmier en ne songeant plus à rien. Les pirates ne sont-ils pas des proto-punks riches ?  L’oisiveté est nettement visible sur Pink Eye (On My Leg) où elle confine à la folie, si l’on en croit les aboiements de chien et les « vocalises » infâmes du chanteur. Le disque s’achève sur la David Bowiesque/Gilmouresque She Wanted to Leave, chanson grandiose qui laisse ouvert un vaste champ de possibilités devant soi, mais qui ne laisse cependant aucune place à l’éventualité d’un retour au bercail. Des bribes du ragtime des vertes terres natales résonnent encore dans la brise (2 :55), mais elles sont lointaines et terriblement déformées… C’était quoi déjà ?

Ecoute intégrale du disque :