lundi 7 novembre 2011

Dengue Fever, tintamarre dangereusement contagieux ...





Le crossover mais qu’est ce encore que ce néologisme shakespearien, mise à part la nouvelle bagnole à gros cylindrés de chez Nissan ? Pour vous donner un indice, la version française bah… c’est chiasmatypie. Ok, ca ne nous avance pas plus... Et si c’était une nouvelle perversion sexuelle scandinave ? Ou bien un écœurant gâteau des Carpates ? Ou encore un rite scientologique dissident  ????? 

Presque… Mais pas complètement.  Avant tout c’est un croisement entre un style musical et un autre. À cheval entre deux styles musicaux, le crossover  peut accoucher de curiosités hybrides assez fascinantes, de machins un peu plus anecdotiques, voir de bouses carrément douteuses. En tout cas il a le mérite d’apporter de l’air et de renouveler des genres musicaux qui ont parfois tendance à tourner à vide, voir d’y occasionner de profondes révolutions. Le Jazz n’est-il pas à la base une hybridation de gospel et de blues ? Et le Rock’n Roll un mélange de country et de blues simplifié à l’extrême ? Pour l’instant tout va bien. Mais allez voir la sacrosainte définition de Wikipédia où vous trouverez notamment « Cet incroyable cocktail musical peut s’effectuer tout aussi bien pour la musique instrumentale que vocale et donne de merveilleux effets comme on l’a vu avec Céline Dion et Andrea Bocelli, Luciano Pavarotti et plusieurs artistes pop-rock tels que : Eric Clapton, Joan Osborne, Elton John, Liza Minnelli, Zucchero, Sheryl Crow, Jon Secada, Frank Sinatra et U2 ». Aïe ! Problème là ! La magie du crossover serait ainsi également responsable d’un pernicieux phénomène de globalisation musicale genre « chansons Big Mac » : ni trop salé, ni trop sucré, ni trop dur, ni trop épicé, ni trop bon, ni trop mauvais…….   Mais alors est ce possible de « chiasmatypier » sans se vautrer dans une indigeste soupe mainstream pleine de grumeaux ou sans tomber dans les affres de la World neurasthénie pour cd d’ambiance de chez Nature & Découverte? La preuve en son et en image avec l’étrange Dengue Fever, groupe de Los Angeles qui réussit avec brio un grand écart entre West Coast hippie et … Cambodge traditionnel !


Tout d’abord petit résumé de la construction du groupe qui pourrait tout aussi bien convenir pour le storytelling efficace d’une marque de café bio équitable que pour un conte pour enfant du Père Castor. 

Il était une fois deux jeunes frères, Zac et Ethan Holzman, tout deux musiciens, qui s’entichèrent envers et contre tous d’une bien étrange passion : le rock khmer des 60’s et des 70’s qui disparut avec leurs auteurs lors des terribles purges des Khmers Rouges. Après avoir écumé les disquaires de Californie et être allé arpenter en long, en large et en travers les routes terreuses du pays, les voila plus que jamais déterminés à fonder un groupe qui sera directement influencé par ce patrimoine oublié. Mais il manque encore un ingrédient fondamental pour que la magie fasse effet.

Celui-ci sera découvert au Dragon House, boite de nuit cambodgienne de Long Beach en Californie (Pour la petite histoire cette ville portuaire constitue la plus grande communauté cambodgienne hors Asie après Paris). Il s’agit de Chhom Nimol, frêle jeune fille aux cordes vocales en acier trempé. Nimol, (comme on s’en doute) cambodgienne, est chanteuse de mariage et de karaoké de son état et est venu rendre visite à sa sœur aux Etats Unis et n’en est jamais repartit. Sans papier, ne parlant pas un mot d’anglais la confiance n’est pas évidente à instaurer, mais elle rejoint toutefois les deux lurons, attirée par l’argent qu’elle pourrait en tirer et renvoyer à sa famille. Et contre toute attente la sauce prend à merveille, le trio s’étoffe vite de 3 nouveaux membres : le bassiste Sennon Williams, le batteur Paul Smith et le saxophoniste David Ralicke. Dengue Fever est née. Le succès ne se fait pas attendre : repérés par Peter Gabriel celui-ci les signe sur son label.   

Dès lors ils vécurent heureux (et on espère très vieux) et eurent pleins d’adorables enfants : après s’être rodé avec la parution en 2003 de Dengue Fever album éponyme qui ressuscite des standards rock khmers, le groupe sort trois albums de compositions originales chantées dans les deux langues : Il s’agit d’Escape from Dragon House en 2005,  Venus on Earth en 2008 et du tout dernier née Cannibal Courtship en 2011.

Le deuxième album renferme déjà la perle venimeuse One thousand tears of a tarantula.

Dengue Fever - One Thousand Tears of a Tarantula by mistermustard

Hypnotique, Venus on earth dégage lui une ambiance psychédélique remarquable, notamment à travers le planant single Seeing Hands ou  l’imparable Tiger Phone Card.




 

Mais c’est Cannibal Courtship qui constitue l’album de la maturité. Ce nouvel opus est un détonant mélange des genres où paroles mystérieuses et mélodies accrocheuses sont délicatement portées par la chaude voix hautperchée de Nimol. Celle-ci se mêle à des parties instrumentales bordéliques et psychédéliques où saxo, synthés et surf guitares survoltés achèvent de façonner un curieux genre de Garage Rock exotique (Family Business, Only A Friend Durian Dowry). Dès l’ouverture du disque, la sautillante chanson Cannibal Courtship est profondément influencée par les années 70, références fondamentales de Dengue Fever. L’indolence des guitares et la batterie lancinante conviennent parfaitement à la nonchalance énigmatique de la voix asiatique. Couplets et refrains se déroulent avec perfection tandis que les clins d’œil aux deux origines se multiplient. Cement sleeper, single de l’album est un morceau où voix masculine et voix féminine se répondent avec justesse jusqu’à se fondre  dans un flamboyant refrain. A noter le bref solo déchirant de saxo qui se prend d’une envie irrésistible de jouer au guitar hero…


 Dans Uku Flutes traditionnelles et guitares électriques s’entremêlent autour de fascinantes vocalises. Le sommet de l’album est atteint par Thank you goodbye et Mr Bubbles, chansonnettes pops ultra efficaces qui achèvent de brouiller tous les repères : Occident ? Orient ? 1970 ? 2011 ? Tout sonne vrai et faux à la fois …  Mais ca n’a aucune importance, et qu’est ce que c’est booooooon !!!


Uku | Dengue Fever by concordmusicgroup
Chiasmatypie quand tu nous tiens !

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