Les Red Hot Chili Peppers sont souvent détestés pour de mauvaises raisons et aimés pour de mauvaises raisons. Quand les fans de la
première époque rejettent leur évolution, les ignorants de dernière heure
consacrent leur commercialité aux Grammy Awards. C’est qu’en réalité ils ne se
réduisent ni à un idéal punk immuable ni à une machine de guerre radiophonique
pour groupies décérébrés. Ils sont tout juste au milieu, mais beaucoup plus loin.
Pour étayer cette thèse trois chansons devraient suffire.
Elles seront triples, et représentatives de la schizophrénie propre au groupe.
De la pop très funk, une ballade et un mélange funk-rap. Pas besoin d’en
appeler aux succès, nous jouerons le jeu inverse en ne retenant que des faces B
et bonus. Et pour compliquer le jeu, ne retenons qu’un disque :
Californication. Il s’agit du sommet de leur carrière, publié en 1999, et le
plus parfait équilibre entre toutes leurs influences, dont même les brouillons
surpassent largement le reste de la production musicale actuelle. Sans trop
s’épandre, disons qu’il s’agit d’un disque à l’histoire particulière, puisqu’il
voit le retour de John Frusciante, parti du groupe en 1992 sur la tournée
accompagnant Blood Sugar Sex Magik. Enfermé dans sa villa à Hollywood pendant
cinq ans, se droguant jusqu’à frôler la mort, il y composa et enregistra dans
son salon deux disques remarquables quoique assez impénétrables. Les Red Hot
quant à eux publièrent avec grande difficulté un disque en 1995, ayant mis un
an avant de trouver Dave Navarro, un excellent guitariste qui tout en apportant
à One Hot Minute un style particulier, ne put saisir le feeling de toute façon insaisissable du groupe.
C’est du retour de Frusciante que l’album Californication
tire toute sa fraîcheur et sa puissance, ce n’est qu’une vaste réconciliation,
au sens social et surtout artistique du terme. Le son a changé depuis 1991,
Kurt Cobain est mort depuis longtemps, la nouvelle pop britannique et le
hip-hop se sont émancipés. La musique des Red Hot était en elle-même
l’incarnation du n’importe quoi des années 80, un mélange difforme de toutes
les éxubérances de la décennie, un pot-pourri de rock, de punk, de
proto-hip-hop et de funk. Bref c’était une musique du passé, toujours reconnue
mais classée dans les archives. C’est en grande partie de Frusciante que vint
le nouveau souffle, ses recherches musicales sous héroïne ont apporté
d’immenses résultats : il a trouvé un style. Un style unique, fondé sur la
pureté des notes, un minimalisme radical qui apporte à chacune d’elle une valeur
qu’elles n’avaient jamais eu l’occasion de porter. Des indices de ce jeu
étaient déjà là dans Pretty Little Ditty en 1989 ou dans Untitled#2 en 1994, mais ne constituaient pas encore son essence. Il explose en 1999 et
donne un éclat inégalable à Californication, insufflant son énergie et
revigorant la basse de Flea (de toutes manière inqualifiable), la batterie de
Chad Smith (qui dut gérer la désonorisation massive des batteries depuis le
début des années 1990), et réinspirant un Kiedis lumineux, au flow oscillant
entre lubricité et poésie.
Les cinq singles issus du disque donnèrent l’occasion de
beaucoup de faces B, et la taille de la distribution permit de nombreuses
pistes en bonus. Pourtant elles sont quasiment inconnues, car peu de personnes
vivent dans plusieurs pays à la fois, et encore moins achètent des singles.
Voyez la qualité de ce qui a été « mis de côté ».
Quixoticelixer a un nom tordu mais seul son nom fait mal
à la tête : c’est de la broderie pop teintée de funk, tout sonne
« Californication », le chant sirupeux de Kiedis, les voix vaporeuses
et la guitare légère de Frusciante, à cheval sur deux genres et les
transcendant avec son jeu, la basse subtile et hardcore de Flea comme l’est la
partie de batterie. Morceau grandiose et inimitable qui finit longuement sur un
phrasé dynamique faisant oublier le début de la chanson.
Gong Li, du nom d’une actrice singapourienne, et présente
sur l’édition japonaise du disque, est une ballade soignée, extrêmement simple,
à la frontière du caricatural. Des gammes de guitares aquatiques entourent des
refrains « smooth » à souhait, déblatérant des états d’âme lambdas
avec un impeccable sens de la mélodie. Elle rappelle un peu l’une des dernières
chansons de l’autre époque, Soul To Squeeze. Et puis merde elle incarne la
Californie, l’aboutissement ultime de l’autre rêve américain : regarder
l’océan et ne rien faire.
Mais les Red Hot ne sont pas des garçons équilibrés, ils ont
des problèmes de personnalité et souffrent de schizophrénie. Parfois ils
deviennent fous et produisent des choses qui ressemblent à Over Funk. Le ton
est devenu dramatique, psychotique, tout est stressant et angoissant. La
chanson n’a pas de sens commun, Kiedis pousse des complaintes pressées sur une
partie de guitare décadente, dont la partie solo est si épurée qu’elle en
devient gênante, surplombant une ligne de basse et une batterie martiales,
frisant parfois la violence pure sur les breaks.
Ces trois chansons résument parfaitement le meilleur album
des quatre guignols de L.A. : un condensé d’idées, le sommet de la
maîtrise de chacun, la cime de leur symbiose. Rebaignez-vous dans sa piscine
enflammée.
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