La Nouvelle-Zélande est un terreau fertile pour avoir un recul suffisant sur ce qu’est et ce que doit rester la musique : l’expression d’une esthétique, sa fixation sur disque et son évolution sur scène. Les Brunettes, un mélange improbable d’intimité et d’extraversion, ne se sont jamais écartés de cette philosophie. Flots de chuchotements, dialogues permanents entre Jonathan Bree et Heather Mansfield… La musique est dure à resituer chronologiquement. Si le groupe est très reconnu nationalement - quatre disques et trois EP tout de même - pas l’ombre du début d’une petite notoriété en Europe. Etonnant qu’une musique aussi brillante et accessible soit ignorée des médias musicaux francophones. Internet n’abat pas toutes les frontières.
Jonathan Bree, musicien solitaire, découvrit la voix d’Heather Mansfield sur une cassette enregistrée à l’arrache par son cousin. Coup de foudre artistique pour celui qui cherchait désespérément une voix féminine afin de l’accompagner sur des duos qu’il avait composés (« I thought she had a great natural voice, no silly effected delivery »). Il postula un beau jour au Marbecks d’Auckland, le plus grand disquaire de Nouvelle-Zélande. Il y fit tourner une démo qui accrocha un manager, passa sur une radio universitaire et aboutit à un EP appelé Mars Loves Venus, autoproduit en 1998. Multipliant des concerts dans le pays, acquérant une excellente réputation en mélangeant humour et intimité, jouant fréquemment à une dizaine de personnes sur scène, les Brunettes obtinrent une notoriété qui poussa Bree à tout simplement créer son label pour distribuer un premier disque : Holding Hands, Feeding Ducks. Et ce label c’est Lil’ Chief Records, qui est devenu le premier et meilleur label indépendant de Nouvelle-Zélande, produisant entre autres Princess Chelsea, Little Pictures ou les Gladeyes.
Musique dure à resituer chronologiquement : éléments éculés des années 1960, mais arrangements et approche modernes. On ressent la proximité des Kinks ou des Beach Boys des débuts dans les lignes de guitare électrique garage, dans l’emploi de l’orgue et plus qu’ailleurs dans la voix inimitable d’Heather, qui se construit en opposition de celle de son comparse, rocailleuse et sombre. Ils ne s’arrêtent jamais à l’évidence d’une mélodie bien trouvée, toujours une évolution inopinément tarabiscotée, un pont improbable ; leur pomme de Newton, leur baignoire d’Archimède.
Les résurgences des sixties sont évidentes dans Cupid, The Moon in June Stuff ou Dancefloor, mais beaucoup moins dans le morceau éponyme, qui livre un phrasé d’une rare longueur, ou Cotton Candy, qui en conservant un côté vintage va déjà beaucoup plus loin, s’aventurant sur les pistes de la pop indépendante multi instrumentée. La sublime End of Runway, sommet du disque qui annonce les évolutions futures du groupe, les ambiances sombres, profondes et vaporeuses qu’ils pousseront plus loin encore. Jonathan Bree sacralise l’idée du dialogue musical, les Brunettes ne sont que ça : un couple musical, dont la communication et est la seule raison d’être. Le chant de sirène d’Heather Mansfield, remontant des profondeurs, s’insinue irrémédiablement dans nos tympans, les drogue et les broie. La conclusion du disque - Tell Her – est presque une déclaration de mort tant elle conclue magnifiquement le disque : avec quelle autre musique assouvir sa mélomanie en attendant la suite ?
Ces états physiologiques ont dû être assez répandus à l’époque, car les Brunettes purent tourner aux Etats-Unis et au Royaume-Uni avec rien moins que les Shins, Architecture in Helsinki ou encore Clap You Hands Say Yeah ! Embarquant dans leurs valises marimba, glockenspiel, banjo, violoncelles, trompettes, saxo et clarinettes, ils peaufinèrent leur esthétique sonore, établirent une voie à suivre pour le second opus qui sortira en 2004.
Mars Loves Venus, ou miracle absolu de pop, mélange impossible d’intimité et de trips collectifs, disque hors du temps à la fois poussiéreux et ultra novateur. Les rythmes enjoués et joyeux sont toujours présents (Mars Loves Venus, Polyester Meets Acetate, Whale in the Sand…) mais d’autres morceaux vont clairement plus loin (No Regrets, Too Big for Gidget, Leonard Says).
Echos, chuchotements, phrasés mi parlés mi chantés, structures acycliques, des mélodies majestueuses, dignes de figurer en sillons d’or dans la Bible de la musique. « Dreams can take a long lifetime, and leave you with broken mind ; and now, now it hurts, to face regret ». Appréciez le mélange de guitare, d’orgue et de piano sur " Too Big For Gidget ", savourez les parties de clarinette sur « These Things Take Time », souffrez la tension de « Besfriend Envy », succombez à la poésie du murmure sur « Leonard Says « et le bruissement mélancolique de « No Regrets ». Mars Loves Venus, ou miracle absolu de pop.
Les Brunettes ont souvent été comparés dans la critique à Nancy Sinatra et Lee Hazlewood : critique superficielle, si Jonathan Bree s’en est sans doute inspiré, il les a dépassés de quelques années-lumière.
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