vendredi 6 avril 2012

On l’écoute et on assume ! (VIII) : Le hard rock anachroniquement délicieux de Witch



Comment les sales types de Witch ont-ils osé ? Sortir, en 2006, aux yeux et à la barbe de tous, un brulôt de hard rock mal dégrossi,  farci de guitares électriques indigestes et de riffs hypercaloriques, tout de même … A l’heure où la sobriété mélancolique de la new wave, le minimalisme efficace et brutal du punk et du grunge et les bienfaits scientifiquement reconnus du rock progressif avaient depuis longtemps remplacé les ingrédients les plus nocifs des scènes plus ou moins hard indé des 70’s, voilà qu’une anomalie musicale nauséabonde se permet de voir le jour telle une infecte pousse d'ortie dans le potager de ce pauvre Monsieur Potiron.  Tous les diététiciens du bon goût musical seront catégoriques. Pas un seul des ingrédients des deux albums du groupe ne peuvent convenir à un régime sonore équilibré. Pire, du poisseux Witch au corrosif Paralyzed tout serait idéalement à jeter dans un container hermétique pour produits hautement toxiques. Et il ne faudrait surtout pas oublier de se rincer abondamment les oreilles en cas de contact, même fugace avec leurs substances sonores radioactives. Le scandale sanitaire n’est pas loin ! Mais on n’y peut rien, comme tout gamin qui se respecte c’est avant tout les friandises pleines de gélatine sucré et les frites dégoulinantes de graisse d’huile de palme que l’on préfère …



Tout droit sorti du pire cauchemar d’Ozzy Osbourne, prince des ténèbres en titre, ça hurle, ca martèle, ca grince et ça gratouille frénétiquement avec pour résultat, comme dans l’exemplaire Rip Van Winkle, l’édification d’un mur du son cathartique et décapant.

Rip Van Winkle by Witch on Grooveshark

Jusqu’ici on pensait qu’une telle overdose de saturations malsaines teintées d’amateurisme et de d’hallucinations post-trip à l’acide  n’était possible que dans un album des plus grandes années de Black Sabbath, au cœur des années 70. Flottant sur le déluge d’accords mineurs et de coups de cymbales injustement maltraitées, la voix éthérée scande avec délice prophéties de pacotilles et psaumes satanistes grandguignolesques de rigueur.

A l’époque le punk n’a pas encore vu le jour, et ce hard rock de routier qui s’affranchit des origines rock n roll, jazz et soul, constitue la provocation ultime pour tout les ados frustrés qui, en Mai 68, n’avait l’âge que de se curer le nez dans une salle de classe poussiéreuse et dramatiquement inintéressante. Au mieux la critique musicale et les parents se déchaînent contre la vulgarité de cette frange obscure de la scène rock, principalement britannique;  mais la plupart du temps ils sont complètement ignorés. Juste quelques baby rockers plutôt bien avisés, Kurt Cobain le premier, les écouteront en boucle, et vont digérer  religieusement leurs préceptes en prévision de futures révolutions …
Seer by Witch on Grooveshark

Mais voilà qu’en 2006 avec l’album éponyme Witch, quatre chevelus de Vermont, Massachusetts, replongeant dans les codes de ces sombres groupes après avoir sorti de leurs greniers le florilège de leurs artifices : riffs menaçants répétés inlassablement comme dans Rip Van Winkle, tempo lourd et fortement ralenti de blues à l’image de la ligne indécrottable de Seer, solos stridents old school à la Changing, le tout souvent ponctué d’une ballade, ici Isadora, qui arrive à conserver le côté oppressant de l’ensemble. On pouvait craindre que la poussière et la rouille se soient chargées de réduire à néant leurs dernières onces de crédibilité et que de telles vieilleries paraissent complètement anachroniques. Mais, on ne sait par quel tour de passe-passe ésotérique,  le rendu final, bien que l’ensemble soit particulièrement pesant, n’a rien d’une vaste blague et s’écoute avec une coupable jouissance adolescente. Et parfois le sombre romantisme baudelairien qui se dégage en deviendrait même insidieusement touchant.  
Changing by Witch on Grooveshark
Hand of Glory by Witch on Grooveshark
Pourtant, derrières les tignasses mal coiffées se cachent des pointures de la scène indé que peu de puristes délaisseraient : à la guitare Kyle Thomas, membre du groupe de folk Feathers, et surtout J Mascis, le leader du groupe alternatif US par excellence :  Dinosaur Jr, qui se dissimule derrière les fûts de la batterie. Avant tout, Witch serait donc un trip entre potes n’ayant plus grand-chose à prouver. Prenons un cycliste fraîchement à la retraite et qui a gagné toutes les courses….  Disons qu’il se retrouve face à un paquet de friandises qui furent le fantasme absolu de ses jeunes années mais avec lequel il avait depuis des lustres banni toutes interactions, carrière oblige. Et bien dès lors il n’a plus aucune raison de bouder son plaisir… Ainsi lorsque ces grands enfants se roulent dans cette gadoue hard rock à qui mieux mieux, l’auditeur attentif percevra à coup sûr leur jouissance communicative à claquer des accords bêtes et méchants, à martyriser la pauvre batterie sans défense  et à s’égosiller à la manière d’un cochon qu’on égorge.  
Et si les plaisanteries les plus courtes sont souvent les meilleures, voilà que les larrons, pas lassés de leur bonne blague, récidivent en 2008 avec un deuxième album au son beaucoup plus hardcore : Paralyzed. Virage rythmique à 180°, sons encore plus durs, ambiances bruitistes à la limite du supportable… Witch se renouvelle, mais est encore très loin de l’âge de raison. 1000 MPH et Eye sont là pour vous le prouver ! 

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